Reportage / L’autre bête à cornes d’Auvergne

J’ai eu le plaisir de découvrir une drôle de petite bête que l’on attribue bien souvent à la Bourgogne, mais qui se plaît en Auvergne ! A Jumeaux, dans le Puy-de-Dôme, se cachent des milliers d’escargots dit « gros gris » qui ont déjà séduits plusieurs tables auvergnates et parisiennes. J’ai rédigé cet article pour L’Auvergnat de Paris, paru en septembre 2014.

Près d’Issoire, à quelques kilomètres de la Haute-Loire, se trouve un des rares élevages d’escargots auvergnats. Depuis bientôt 10 ans, c’est à Jumeaux qu’Antoine Chenard s’est lancé dans cette drôle de production. Au menu, gros gris élevé en plein air avec passion et simplicité. Une formule qui séduit de plus en plus de consommateurs et de restaurateurs. Cinq maisons étoilées font déjà confiance dans la qualité de l’Escargot des Murailles.

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Celui de Bourgogne occupe la majorité des cartes de France durant les fêtes. Pourtant, il n’a de bourguignon que le nom puisque cette espèce d’escargot est ramassée dans les forêts et les prés des pays de l’Est. En revanche, dans l’Hexagone aussi on trouve des escargots. Comme le gros gris, qui peut être élevé contrairement à son cousin qu’on doit laisser à l’état sauvage. En Auvergne, Antoine Chenard s’est lancé dans ce drôle d’élevage depuis neuf ans. Ce jeune homme de 32 ans, après avoir fait l’école d’agriculture de Marmilhat (Puy-de-Dôme) a cherché une spécialisation originale. « Je suis alors tombé sur un article sur l’élevage d’escargots, qui disait que cela ne réclamait pas beaucoup d’espace et qu’il y avait un marché à prendre », se souvient-il. Ce sera donc une bête à cornes, autre que celles que les Auvergnats ont l’habitude de voir, qui rythmera la vie de ce jeune agriculteur. Après une formation à Chambéry en héliciculture, il s’installe à Jumeaux, dans la maison de ses grands-parents et utilise une parcelle de terrain pour lancer son aventure. Un travail de longue haleine, de la reproduction à la fabrication du produit fini, en passant par le ramassage. « Ca me correspondait totalement, c’est minutieux, tout se fait à la main, il n’y a pas de machines. On fait plusieurs métiers en un, l’élevage, la cuisine et la vente », aime-t-il dire.

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Un élevage naturel

Sur 1500 m2 de terrain, ce sont 500 000 escargots qui grandissent ici aux confins du Puy-de-Dôme, à la limite de la Haute-Loire. C’est la première année qu’autant d’escargots seront ramassés, auparavant l’exploitation s’étendait sur 800m2 pour 300 000 petites bêtes. Cet agrandissement sera le dernier, « ce sera mon rythme de croisière, je ne veux pas faire plus », dit-il. Des centaines de planches sont disposées dans cette parcelle, un détail indispensable au milieu des trèfles, du plantain et du colza fourragé, car elles leur permettent de venir se coller durant la journée où ils dorment. Avant la tombée de la nuit, Antoine Chenard déclenche le système d’arrosage, et les centaines de milliers d’escargots entament leur journée à eux. Réveillés par l’humidité ils sortent pour se nourrir. Pas de désherbant, pas de pesticides, la nature se régule seule ici, « l’argument phare est de faire de la qualité ». L’éleveur leur donne juste une farine garantie sans OGM à base de céréales et de calcaire, matière indispensable pour les aider à faire leur coquille. « Dans la nature ils trouvent ce qu’il faut avec les pierres, là il leur faut un petit coup de pouce ».
Le gros gris a une croissance rapide, et en 4 mois ½ il atteint déjà la taille adéquate pour la consommation. « On les ramasse lorsqu’ils sont matures, il y a alors une casquette dure qui se dessine au bout de la coquille », explique-t-il. Un travail d’observation intense qui dure deux mois, « fin octobre, il n’y a plus un escargot dehors ». En tout, cette année, l’éleveur devrait ramasser 5 tonnes d’escargots. « Et encore, je suis une exploitation moyenne ! », précise-t-il.

Déjà chez 5 étoilés

Malgré ce chiffre qui paraît énorme, « en janvier dernier, j’étais déjà en rupture de stock, là je recommence seulement à revendre ma production ». L’escargot des Murailles est apprécié dans le Puy-de-Dôme, où ils ne sont que deux à faire ce type d’élevage, que ce soit sur les marchés que fait Antoine ou en vente directe à la ferme. Mais pas seulement. Depuis quelques années, de nombreux chefs se sont intéressés à cette petite bête de Jumeaux, la restauration représentant 40% de ses ventes. Et d’une année sur l’autre, le nombre de restaurateurs augmente. Parmi ses clients, Antoine Chenard compte cinq maisons étoilées : Jean-Claude Leclerc (Clermont-Fd), La Bergerie de Sarpoil (Cyrille Zen), le Radio (Chamalières), le Pré (Durtol) et La Tour d’Argent à Paris. Il est aussi à la carte à La Ferrandaise.
Antoine Chenard dispose aussi de son propre labo pour transformer ses escargots en mets divins à déguster. Une fois ramassés, ils sont entreposés en chambre froide, où ils se mettent en état d’hibernation. Une période qui peut durer jusqu’à six mois. C’est à ce moment-là qu’Antoine fait sa sélection de reproducteurs, les plus lourds. Ils seront 7000 pour garantir la saison suivante. Les autres escargots seront ensuite transformés au fur et à mesure de la saison en amont des fêtes. Sur place, ils seront ébouillantés, vidés de leur coquille, blanchis puis cuisinés. En persillade, avec le persil du jardin et l’ail rose d’Auvergne, mais aussi en soupe à base d’orties ou de potimarron, en tartinades ou confits à la graisse de canard.
Que ce soit le produit nature ou cuisiné, l’Escargot des Murailles séduit. Pour Antoine Chenard, « c’est un escargot très fin, très tendre par rapport au Bourgogne qui est plutôt ferme et caoutchouteux. Et puis il est plus facile à élever et bien meilleur ! ».

Article paru dans L’Auvergnat de Paris

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